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La vraie moi

Updated: Nov 1, 2021

L’ancienne moi me manque parfois. Celle qui montait sur les tables et qui régnait sur le comptoir, de manière éhontée et insolente. Celle qui défiait la nuit toute entière. Celle qui attirait les regards et l’attention en titubant fièrement sous les facettes.

Ma sobriété a levé le voile sur toutes mes fantaisies. Elle m’a ramenée à ma pure vérité. Celle qui s’était longtemps tapie au fond de moi.

Je regrette cette insipidité joyeuse dont je me régalais. Cette légèreté qui comme un tourbillon venait m’envelopper d’allégresse. Cette facilité à embrasser chaque rencontre et chaque discussion comme si elles m’éveillaient au monde.


Boire pour ouvrir toutes les portes, c’était ma clé, mon sésame sur les paillettes. Les cotillons qui venaient s’enrouler autour des gens et qui faisaient de chaque instant une fête. Tant qu’il y avait du vin, l’excitation ne prenait jamais fin.


Je me rends compte que celle qui buvait jusqu’à plus soif avait plus sa place dans ce monde que la vraie moi. Depuis que je suis sobre, je me sens souvent seule malgré la foule. Je regarde, terrifiée, l’alcool partout et ceux qui se noient dedans comme dans un bain de jouvence. Je m’étourdis des bars pleins, des rendez-vous bruyants, où celui qui vient rassembler trône furieusement sur la table, celui qui ne vient jamais à manquer à mesure que les heures passent et que les verres se vident. J’étouffe dans ces rapports faussés par l’alcool qui vient arroser d’illusions le plus grand nombre. Je me sens isolée et si éloignée de cette normalité qui n’est plus la mienne.


Je n’arrive plus à rester assise gentiment en assistant au spectacle des discussions ternes, des mots qui fourchent et des balbutiements de l’ivresse. Les apéros qui glissent et que j’affectionnais tant sont devenus des situations inconfortables. Je ne suis plus à ma place. Je suis mal à l’aise. Pour tromper l’ennui, il m’arrive de m’imaginer commander une bouteille, de la descendre à toute vitesse pour me fondre à nouveau dans la masse et me satisfaire du charabia ambiant. Retrouver les goûts et les saveurs instantanées dans chaque chose qui se passe autour de la table.


Mais je n’ai plus envie de traîner sur le tabouret de bar à écouter les récits des frasques alcoolisées de la veille. Je n’y arrive plus. Ces ambiances sont devenues un défi, un rite de passage que je dois surmonter. Comment ce qui me rassurait m’est devenu insupportable ? Mes limites sont devenues de plus en plus difficiles à repousser, moi qui était pourtant inarrêtable. Comment le plaisir de ces moments dits de partage m’est devenu si étranger ?


Ma sobriété a levé le voile sur toutes mes fantaisies. Elle m’a ramenée à ma pure vérité. Celle qui s’était longtemps tapie au fond de moi, toute fragile et pas encore assumée. Arrêter de boire a changé ma vie et m’a transformée. Je ne serai jamais plus celle d’avant.


Adieu la reine noctambule, il est temps d’accepter la vraie moi. Celle qui préfère se plonger dans un livre le samedi soir, celle qui préfère plancher sur ses nouveaux projets plutôt que de sortir la jouer “social”, celle qui essaie de se coucher avant minuit pour pouvoir jouir des matins bleus quand la tête s’ouvre à toutes les réflexions, celle qui préfère préserver son énergie pour l’engager dans les relations qui la nourrissent et qui l’inspirent.


Alors qu’on me pardonne de paraître si sauvage et de sembler impolie. J’ai renoncé aux tentations de la nuit pour caresser les beautés lumineuses du jour. Qu’on me traite de chiante, de vieille, de snob, de rabat-joie ! Tant qu’on me laisse m’enfuir. Tant qu’on me laisse quitter la table...






Crédit photo : Santiago Perez


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