ivresse n.f.
État d’euphorie ou d’exaltation.
[Définition du Robert]
La vie n'est pas un shoot permanent d'euphorie. J'ai compris aujourd'hui que les moments de grâce se méritent et se construisent.
L’alcool me permettait de prendre des vols directs pour Paradise Island. Un shot de vino et j’étais au Pays des Merveilles. Pas de limite, que des sensations fortes. Une grande plage des possibles. Le Cancun des étudiants en plein Spring Break. Cette impression dingue d’être au-dessus de tout ! Je me sentais si libre sur l’instant.
Mes émotions étaient tellement puissantes, décuplées. A fleur de peau. J’adorais tellement ça. Sentir cette intensité qui me prenait toute entière. Quand les larmes poussent aux gros sanglots et que les rires deviennent euphoriques. J’aimais encore plus et encore plus fort mon voisin de table, tout comme la rencontre fortuite de la nuit. C’était si bon de se sentir aussi vivante. Aussi ouverte et sensible au monde qui m’entourait. Toute banalité prenait une dimension si spirituelle.
J’ai passé des nuits entières à refaire le monde, à débattre sur des films expérimentaux, et à échanger avec des personnes si inspirantes. Ces moments de grâce où tout semble s’enchevêtrer avec harmonie. Ce joyeux bordel qui prend forme dans le bruit et l’ivresse.
Ce sentiment d’être connectée aux autres, aux discussions et à chaque lueur de la nuit. Je n’arrive même pas à décrire cette sensation de bien-être qui emportait mon corps dans un voyage sans frontière. Le trip du siècle. L’impression d’être au maximum de sa lucidité, paradoxalement. Une bouteille en entraînait une autre et je n’avais plus qu’à m’étendre sur le tapis d'Aladin et me laisser flotter. Chaque nuit créant des moments inoubliables. Il fallait vivre les choses à fond pour ne pas qu’ils s’échappent. Pour créer des souvenirs indélébiles.
Dans ces délires alcooliques, le rationnel n’a plus sa place. On s’en fout de tout. Tant que les émotions se cristallisent en une explosion de sensations fortes. Je cherchais toujours plus à sentir, à vibrer. Sortir des habitudes et du quotidien, d’une réalité qui paraissait soudain si fade. Il fallait embrasser plus fort, serrer plus fort, penser plus fort, imaginer plus fort, partager plus fort.
Aimer les inconnus de la fête comme ses plus vieux amis et se promettre de ne jamais s’oublier. Vivre ses rencontres comme des évidences et des connexions hors du commun. Remettre toute sa vie en perspective et décider de ne plus vivre que comme ça, intensément. Tout bousculer jusqu’au petit matin en réinventant sa vie. Parce que se sentir si vivante, ça n’a plus aucun prix. Peu importe les conséquences, tant que je pouvais jouir un peu de cette adrénaline.
Sauf qu’au réveil, les nuées joyeuses de la veille se sont évaporées. Avec le constat que j’ai été bercée d’illusion. Il ne reste que les regrets et l’absurdité des situations. Le récit pathétique des copains et les anecdotes foireuses. Le cul à l’air entre deux voitures devant le regard effaré des passants et une nuit sans mémoire dans les bras d’un inconnu. En fait, tout ça c’était que du flan. C’est juste la bouteille qui rend tout si intéressant sur le moment. Une fois le filtre « bourrée » désactivé, il ne reste plus que les yeux de panda et les membres engourdis. L’aventure nocturne prend un tout autre tournant.
Tu réalises que tu n’as fait que des rencontres insipides, avec des gens tout aussi imbibés que toi. Plutôt que des conversations inspirantes, tu n’as rien écouté et juste déversé des absurdités. Le beau brun ténébreux que tu as embrassé dans le dos de ton copain n’était ni sexy ni intéressant. Et tes remises en question existentielles n’ont aucune cohérence et aucun avenir. Tu n’es pas le poète inspiré que tu croyais être hier soir parce que tu as cité deux œuvres littéraires dont tu parles à chaque fois.
La vie n’est pas un shoot permanent d’euphorie. J’ai compris aujourd’hui que les moments de grâce se méritent et se construisent. Je ne me suis jamais sentie autant exister que depuis que j’ai arrêté de boire. Et pourtant, cette sensation si forte est difficile à retrouver. Ces instants me manquent souvent parce qu’ils étaient si faciles à provoquer. Quelques verres engloutis et la machine à émotions était lancée.
Je ne peux plus choisir ces échappées et transformer chaque banalité en exceptionnalité. Les gens qui m’ennuient, m’ennuient. Les dîners sans saveur sont très longs. Certaines rencontres ne méritent pas d’être encensées. Et je ne connecte plus avec qui je veux si l’alchimie n’existe pas. Je ne me noie plus dans des rêves ridicules qui ne mènent nulle part.
Le voyage vient alors naître dans l’inattendu et la rareté des belles rencontres. Ou il s’installe dans la construction de belles relations. Il se nourrit de la vérité et des réalités auxquelles il se confronte. Je ne peux plus faire semblant si je n’ai pas envie. Je n’ai plus mon verre de rouge pour donner de la couleur à la banalité. Alors j’essaie d’accepter les déceptions, sans faire de drame, pour pouvoir mieux apprécier les jolis moments. Ceux qui arrivent à me faire me sentir vraiment vivante. Pour de bon cette fois, car sans artifice. Cette intensité vient m’habiter moins souvent mais tellement plus sincèrement. Et quand elle s’empare de moi, je la laisse déborder sans honte. Parce qu’elle est tellement pure et vraie.
Et alors je peux sereinement accueillir ces émotions fortes, m’y vautrer, et m’échapper belle… loin des paradis artificiels.