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Alcoolique, être ou ne pas être ?

alcoolique adj., n.

Qui boit avec excès et de façon habituelle des boissons alcooliques.

[Définition du Larousse].

Alcoolo-dépendant, addict, malade alcoolique… Ces adjectifs ne me plaisaient pas certes, j’avais pourtant tout l’art et la manière.

Suis-je alcoolique ? Je me suis souvent posé cette question. Mais ce n’était pas possible de m’y résoudre. Ce vilain gros mot qui fait peur. Celui qu’on associe, dans l’inconscient collectif, à des images hyper clichées. Le vieux monsieur de la rue, perdu et errant la bouteille à la main, vociférant et hurlant ses maux à demi-mots sur les passants.


Alors moi, avec mon super job, mon appartement confortable à Montmartre, mon bel amoureux et mon dressing débordant d’imprimés fleuris, je me sentais bien loin de tout ça. Moi, alcoolique ? Jamais ! Je suis une épicurienne, une fêtarde, une bonne vivante, une jouisseuse des plaisirs de la vie. Loin de me noyer dans l’alcool, j’arrose juste mon quotidien de bons crus.


J’ai parcouru des tonnes de tests en ligne, j’ai rempli des dizaines de questionnaires pour évaluer ma dépendance à l’alcool. Je relativisais ma réalité pour pouvoir rentrer dans les cases et ne pas exploser le baromètre de consommation raisonnable. Finalement, je ne buvais pas toute la journée, ni le matin au réveil. Pas de quoi s’inquiéter !


Le déni le plus total m’a habité très longtemps avec toutes les excuses qui vont avec. Et quelle chance de vivre en France pour ça. Là où le terroir et le patrimoine viennent tout justifier. L’excès fait partie de la visite culturelle. Quand j’habitais New-York, mes amis américains ne s'étonnaient même pas de ma descente hors du commun ni de mes alcoolisations extrêmes : je répondais à leurs attentes. J’étais l’incarnation fidèle de la french girl, un verre de vin dans la main, la cigarette dans l'autre. C’était donc normal.


J’ai pourtant fini par comprendre que ce n’était pas normal de ne pas pouvoir me lever pour aller au bureau le mardi, puis le jeudi, parce que je n’avais pas voulu m’arrêter de boire la veille. Ni de descendre à l’épicerie deux fois dans la nuit pour acheter du vin bon marché. Ni de me faire volontairement vomir ce que j’avais ingurgité pour pouvoir assurer le lendemain. J’ai compris que ce n’était pas normal de tromper mon copain pendant qu’il m’attendait sagement à la maison. Ni de plonger mes parents et ma petite sœur dans une profonde inquiétude à chaque réunion de famille. J’ai compris qu’il y avait un problème quand chaque lendemain de fête, je me confrontais aux regards de plus en plus désapprobateurs de mes amis.


La liste n’a cessé de s’allonger au fil du temps, avec les déclics et les vérités qu’elle révèle. Poivrotte, soiffarde, ivrogne, buveuse. Je continuais obstinément à rejeter ces étiquettes visqueuses et honteuses. J’avais beau ne pas vouloir rentrer dans la description vulgaire de l’alcoolique, celle qui ne semblait pas me ressembler, je ne pouvais plus nier les faits.


Je ne suis pas devenue une prosélyte de la sobriété. Il m’arrive encore de passer des nuits blanches entourée d’amis qui s'enivrent. Je ne les juge pas et je ne milite pas contre la boisson. Sans être une activiste moraliste, regardons quand même les choses en face. Être alcoolique a plusieurs réalités. Pourquoi nous obstinons-nous à le réduire à une caricature ? On en oublie sa complexité et ses multiples visages. Au-delà des quantités, demandons-nous plutôt comment buvons-nous ? Quand on engloutit le breuvage plutôt que de le savourer, que l’on se promet un seul verre puis qu’on descend la bouteille, que l’on bascule le liquide dans sa bouche à un rythme effréné.


Alcoolo-dépendant, addict, malade alcoolique… Ces adjectifs ne me plaisaient pas certes, j’avais pourtant tout l’art et la manière. Il y avait clairement un problème, parce que c’est le cas quand tu n’es pas capable de contrôler ta consommation, quand un verre en entraîne 15, que tu vis la modération comme une torture, quand tes alcoolisations commencent à avoir un impact sur toute ta vie.

Alcoolique, être ou ne pas être ? Telle n’était plus la question. J’ai donc arrêté de me la poser. Je n’avais plus besoin de me définir. J’avais compris au plus profond de moi que ma vie serait bien mieux sans l’alcool, et cette vérité me suffisait désormais.





Crédit photo : @amyshamblen


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